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Une catastrophe, c’est dans le langage courant une rupture dramatique de l’ordre du monde. L’harmonie cosmique disparait pour laisser place au chaos, à l’anarchie. Si la raison nous affirme que pour autant il n’y a rien de surnaturel et qu’une succession d’événements explique parfaitement cette catastrophe, l’imagination au contraire y voit une rupture même des lois naturelles. Les hommes pris dans la tempête, dans un tremblement de terre, comment les empêcher de percevoir cette violence comme un courroux divin ?

L’homme n’est pas un être uniquement raisonnable, il est cet être soumis aussi à la peur au vertige de ce qui le dépasse. Comment penser les catastrophes sans tomber ni dans la superstition et l’obscurantisme le plus vulgaire, ni à l’inverse dans un matérialisme positiviste stérile ? Voici la question que Jacques nous propose dans Dieu, le jour d’après.

Pour aider notre réflexion, jacques va nous faire relire avec un œil nouveau, les textes bibliques, hébraïques et évangéliques. Nous rappeler les discutions déjà enflammées qui opposèrent Kant Leibnitz et Voltaire au sujet du tremblement terre de Lisbonne de 1755. Jacques nous ferra méditer sur les sagesses antiques, socratique et stoïcienne sur le danger de l’Hybris (la démesure), sur les paroles de son ami Teilhard gardant la foi en Dieu et en l’avenir sous l’orage d’acier de la première guerre mondiale. Et avec un petit clin d’œil au voile du cosmos, nous sourirons à cette phrase d’Einstein le « vieux ne joue pas aux dés »

Je vais, sans vous dévoiler trop du livre, m’attarder sur deux chapitres. Le premier c’est l’analyse que Jacques propose du livre de l’Ecclésiaste.

Vanité des vanités tout est vanité. « Vanitas, vanitatum, omnia vanitas », rien de neuf sous le soleil,( Nihil novum sub sole), Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est pas remplie (omnia flumina intrant mare et mare non redundat). Voilà sans doute les trois phrases tirées de ce texte que nous avons déjà tous déjà entendu. Si les deux dernières ne portent pas à confusion, la première est souvent pris pour ce qu’elle n’est pas à savoir une mise en garde contre les vaniteux.

La vanité, jacques nous le rappelle très bien c’est la fragilité de l’homme et le côté vain de son action. L’homme ne marquera pas plus le monde que la buée ne restera sur le miroir. « La mort est aussi inévitable que la disparition de l’éphémère buée qui ne laisse pas la moindre trace derrière elle » nous dit Jacques.

Dans le destin la vie d’un homme ne compte guère. Si nous sommes, généralement la personne la plus importante à nos yeux, nous ne le sommes pas aux yeux du monde ou de Dieu. Nous ne sommes pour lui que cette buée éphémère par nature. L’homme, comme individu mais aussi comme espèce doit se penser que comme une infime partie de la totalité. Une partie de la totalité ordonnée qu’est le cosmos. La vision de l’Ecclesiaste est comme le montre très bien Jacques en accord parfait avec la vision grecque du monde. Depuis Pythagore les grecs habitent un monde fini et ordonné, pas de place pour le hasard, pour le chaos ou pour l’incertitude.

Pour l’homme un seul devoir trouver sa juste place en fuyant l’hybris et en faisant sienne la maxime de Delphes Medèn ágan.Rien de trop.

Remis à sa place l’homme pensera et vivra la catastrophe dans ce qu’elle est réellement et non dans sa perception individuelle.

Le deuxième passage du livre que j’aimerai mettre en avant est celui du débat philosophique ou plutôt des débats philosophiques qui suivirent le tremblement de terre et le raz de marée de Lisbonne.

Le tremblement de terre de Lisbonne fit couler beaucoup d’encre et de l’encre de qualité, celle de Voltaire, Rousseau ou de Kant par exemple. Les 60.000 morts le lendemain de la toussaint 1755 interrogèrent directement l’existence d’un Dieu omniscient, omnipotent et tout amour et par la même occasion de la théodicée Leibnizienne qui affirmait doctement que Dieu avait créé le meilleur monde possible.

Voltaire ouvrit le débat avec son poème :

Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes”?

Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants

Sur le sein maternel écrasés et sanglants?

Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices

Que Londres, que Paris, plongés dans les délices?

Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris.

Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,

De vos frères mourants contemplant les naufrages,

Vous recherchez en paix les causes des orages:

Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,

Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes

Ma plainte est innocente et mes cris légitimes

Partout environnés des cruautés du sort,

Révolte de l’imagination face au malheur, le Dieu vengeur massacre femmes enfants.

Rousseau lui répond :

« Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eut été beaucoup moindre et peut-être nul ;Tout eut fui au premier ébranlement, et on les eût vus le lendemain à vingt lieues de là, tout aussi gais que s’il n’était rien arrivé ; mais faut rester, s’opiniâtrer autour des masures, s’exposer à de nouvelles secousses, parce que ce qu’on laisse vaut mieux que ce qu’on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce désastre, pour vouloir prendre l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son argent ? »

La catastrophe n’est plus comme le montre jacques imputable à Dieu seul, mais aussi à l’homme. L’architecture et l’urbanisme étant les premières causes de décès. Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. Déjà sans doute l’architecture du Lisbonne du 16 ème siècle marquait-elle une forme de démesure, une rupture de la loi cosmique.